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Des mains me dévisagent.

 

Je n'adopte pas n'importe quelles mains ! Certaines affectent les maisons enfumées, mal famées, malsaines ; d'autres s'égarent dans les recoins glauques et vous agressent sans vous connaître ; d'autres encore vous sautent sur l'épaule au seuil de l'auberge ou du logis ou vous entrez : je m'en protège.

Ces mains-là sont étranges. Emboîtées à mes poignets, elles s'agitent en frémissements adroits mais imparfaits : elles ne peuvent faire un tour complet. Elles sont courtes, carrées, rosées-pêches. Des doigts coriaces, souples, les couronnent et d'étonnants embryons de pouces s'estompent de temps à autres dans les paumes. Je les pare de bagues telles des cadenas que je scelle sur chaque phalange ; ce sont des dangereuses cages écrasant mon destin, d'infâmes bouges jaloux de mes charmes où se jouent mes fins.

Pressées, elles me précèdent, derme contre derme, sur ta bouche, dans ma couche, sur ta gorge chaude, ton sein, ton ventre, sur ta verge - sanctuaires -, se glissent sous tes fesses, et disparaissent (enfin !) vers la salle de bain.

Je prends une pause... Mon lavabo devient en une seconde l'océan où mes mains plongent comme des ancres blanches et s'allongent sur le fond de faïence nacre et blafard, loin de la surface ; bientôt, elles remontent au-dessus de l'eau tels deux rocs de glace ruisselants, se changent en deux vasques accueillant les larmes de mon visage d'albâtre. Dans la pénombre du soir, je me vois dans le miroir comme pour la première fois : mes mains se dévisagent...

Plus tard, mes cauchemars raniment la vision du miroir : les mains engendrent maintenant sarments et branches, ce sont des ramures extrêmes qui prient le ciel, des racines terrifiées sous terre.

 

Maud ALVADO - Tableaux de l'Enfer - 2020

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